S.O.S BONHEUR… THE BD dystopique

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J’ouvre le feu avec une série incontournable de votre BDthèque idéale : S.O.S Bonheur scénarisée par Jean Van Hamme et dessinée par Griffo qui signe avec cette série sa première aventure de bande dessinée réaliste.

Pourquoi cette série est-elle une référence ? Car il s’agit de LA série BD dystopique réaliste par excellence. Mais qu’est-ce donc que la dystopie ? C’est une utopie inversée. Un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur à l’image du meilleur des mondes d’Aldous Huxley ou de 1984 de George Orwell. Pas d’inquiétude, le propos de cette série n’est pas intellectualisant à outrance. L’intrigue s’appuie sur une authentique réflexion sur les choix de société mais le propos philosophique ou politique n’étouffe pas l’histoire et n’altère en rien son rythme.

Choisissez l’édition intégrale où trouvez au moins le moyen de parcourir l’avant-propos d’origine de Jean Van Hamme et sa conclusion rédigée 20 ans après la publication du premier album. Au-delà du style attachant de ce géant du scénario et de ses souvenirs d’une époque où il essayait d’écrire plus vite que les factures, il y a Albert.  L’édifiante histoire vraie d’un homme « normal » ou « normé » à l’excès que Jean Van Hamme a côtoyé lorsqu’il travaillait pour un géant de l’électroménager donne le la de cette série culte avant même d’en dévoiler les premières cases. En quelques lignes, Jean Van Hamme dresse le portrait d’un employé modèle qui pendant une dizaine d’années a produit un travail devenu inutile dès les premiers mois sans que sa hiérarchie ne s’en préoccupe et sans que lui-même ne se pose la moindre question sur le sens de sa mission quotidienne.

S.O.S Bonheur est une formidable réflexion sur l’absurdité de toute forme de bien-être égalitariste édicté comme une règle de société et comme la justification d’une norme arbitraire. Chaque chapitre a sa thématique. Le premier, « plan de carrière », met en scène un anti-Albert qui ne peut supporter qu’on ne lui apporte aucune réponse sur l’utilité et le sens de son travail. Le deuxième décrit une société sous l’égide de « l’assurance médicale unifiée » où la gratuité des soins est orchestrée par un système totalitaire et obsessionnel de prévention des maladies. Le troisième présente les différentes facettes d’un modèle de vacances universalisé. Tout le monde a droit à des vacances dans cet opus mais le principe de mutualisation qu’il génère recrée les mêmes inégalités que l’ancien système libéral. Le quatrième retrace l’implacable désocialisation de l’inventeur de la « carte universelle » qui sert à la fois de carte d’identité, de permis de conduire, de carte bancaire… Une seule carte pour être identifié par le société et gérer son quotidien. Un outil de simplification administrative dont le principal promoteur en deviendra la victime. Le cinquième tome « Planning familial » soulève la question de la violence induite de la régulation contrainte des naissances tandis que le sixième attribue à la profession d’écrivain un statut d’exception… Le soutien à la création littéraire est une des principales directives gouvernementales… Tant que le propos des oeuvres ne remet pas en cause les normes consacrées par l’autorité publique.

Le dernier chapitre « Révolution » renoue avec les principaux protagonistes des différents albums. Tout se reconnecte avec beaucoup d’habileté scénaristique. Cet ultime partie s’ouvre sur le verdict administré par le « grand ordinateur judiciaire », Thémis, le seul « juge capable de rendre objectivement la même justice pour tous ». Fini les tribunaux engorgés, les juges surmenés, Thémis, centralise tous le textes de loi, toutes les jurisprudences et toutes les informations relatives aux prévenus avant d’émettre un verdict… qui transformera le mois de prison avec sursis, requis pour un des nombreux antihéros de l’histoire, en peine de mort…

Je ne dévoilerai pas, bien sûr, la fin de cette fresque socio-politique interpellante… Toutefois, à bon entendeur… les lecteurs qui imagineraient que le titre du dernier tome laisse augurer un aboutissement évident de la série en seront pour leurs frais.

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